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La Redazione

 

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La fin de la démocratie

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A cura di Truman
Il 3 Maggio 2005
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OU COMMENT ON BALAYE EN UN DIMANCHE, DEUX SIÈCLES DE PRINCIPES CONSTITUTIONNELS ET 1500 ANS D’HISTOIRE

de Aigle Royal

Ce texte extravagant est sans précédent dans l’Histoire. Sans contrainte, sans défaite, des gouvernants s’unissent pour abolir la souveraineté de chaque peuple, abdiquer leurs propres pouvoirs, supprimer les contrôles politiques, la discussion démocratique et la régulation sociale, et confier à jamais la gestion des affaires et le gouvernement des hommes à des puissances financières irresponsables, celles qui influencent déjà le gouvernement de la principale puissance politique et militaire mondiale. L’Histoire du monde regorge de mauvaises décisions, mais jamais une telle folie suicidaire n’a été commise ainsi de sang-froid.

Que voulons-nous ?Qui est contre l’Europe ? Ni vous, ni moi, ni personne en France. Qui croit sérieusement que refuser le traité qu’on nous propose déclenchera une crise grave ? Ni vous, ni moi, ni personne, ni en France ni en Europe. Qui craint le Grand Méchant Loup ? Moi, vous, tous ceux qui, en France et en Europe, en ont assez qu’on les mène en bateau depuis des années, et voient très bien où on veut les mener.

Ce projet de traité européen a déclenché une avalanche de critiques, plus justifiées les unes que les autres tant cet épais pensum est bourré de fautes, et portant sur tous les domaines tant ce machin est hétéroclite. Conséquence cocasse : ses partisans se récrient sur la variété des reproches et les taxent d’incohérence, en feignant d’ignorer que cette variété reflète justement la bizarrerie encyclopédique du texte.

Les critiques les plus courantes portent sur l’organisation économique : libérale, anti-sociale, réactionnaire en un mot. C’est bien vrai, et cela seul suffirait à justifier que l’on envoie ce projet par le fond. Mais ce défaut n’est pas le seul : les dispositions politiques de ce traité ne sont pas souvent relevées, et pourtant elles sont aussi calamiteuses que les dispositions sociales, et pour la France leurs conséquences seraient carrément désastreuses.

Parmi les innombrables raisons de jeter ce projet aux oubliettes, la principale est qu’il abolit la démocratie en Europe, et la remplace par une bureaucratie mâtinée de despotisme éclairé. Pas moins que cela.

Voilà ce que ces quelques pages tenteront de montrer.

Comme l’Europe vit en paix depuis soixante ans, hormis dans les Balkans où les troubles ne risquent néanmoins plus de dégénérer en affrontement grave, nous avons la chance historique de pouvoir faire des projets en prenant le temps de bien réfléchir. Evitons donc la hâte et la confusion, et demandons-nous ce que nous voulons construire.

Les Français, et ce ne sont pas les seuls en Europe, sont exaspérés par leur classe politique. Ils lui reprochent de ne pas tenir compte des préférences très clairement exprimées, vote après vote, par la majorité des électeurs, et de s’en tenir au contraire à des choix réprouvés par la majorité mais imposés par des puissances financières dont les politiciens, résignés ou complices, se font les relais complaisants. Ils lui reprochent de se complaire dans des intrigues de sérail en négligeant les affaires publiques. Ils lui reprochent enfin de confisquer le pouvoir. Les mêmes caciques survivent de défaite en défaite, nuisant à leur parti et à leur pays parfois pendant trente ans et en changeant dix fois d’avis. Les partis ne représentent plus les forces sociales, et nous votons lors des élections démocratiques pour des candidats pré-nommés par des apparatchiks dans les arcanes obscurs des partis. De ce fait les décisions politiques butent contre la réalité sociale, et sont toujours contestées. Les politiciens en concluent qu’ils doivent plus que jamais décider entre eux.

Alors, question principale : le traité qu’on nous propose améliorerait-il le contrôle démocratique des élus par le Peuple Souverain, ou aggraverait-il la dépossession politique des citoyens ?

En trois siècles de bagarres politiques, les Etats démocratiques ont progressivement mis en place des institutions conformes à des principes constitutionnels peu à peu dégagés. Tâchons donc, pour commencer, de formuler clairement ces principes, afin d’estimer ensuite si les institutions proposées pour l’Union européenne y sont conformes. Les principes constitutionnels fondamentaux

Pour prendre une décision collective juste, c’est à dire acceptable par la majorité et pas trop éloignée de l’équité, trois conditions doivent être remplies : motivation, publicité, contrôle.

Motivation

Une décision doit être motivée : son texte doit être accompagné de l’exposé des raisons qui l’ont fait prendre. Ainsi, un jugement est motivé par l’exposé des faits, des circonstances et des règles de droit que le juge a choisi d’appliquer. Si la décision est contestée en appel, la motivation est une base importante du deuxième examen de l’affaire (sauf les décisions d’assises, qui suivent une procédure particulière). De même, une loi est accompagnée d’un exposé des motifs expliquant pourquoi le législateur l’a jugée nécessaire, et le Conseil d’Etat délibère sur la base d’un rapport établi par un magistrat indépendant. Pour les négociations sociales, qui ne suivent pas une procédure formelle, les rapports d’experts, publiés avant les négociations, ont une fonction assez comparable. Le but évident de la motivation est d’obliger à réfléchir, d’éviter l’arbitraire et la précipitation, et de permettre la contestation. Si l’on est pas d’accord on sait pourquoi, et les opposants peuvent discuter sur des raisons précises. La motivation conclut lucidement les délibérations, et même dans nos affaires personnelles, nous aurions parfois intérêt à mettre par écrit nos raisons de prendre une décision pour être sûrs de sa pertinence.

Publicité

Une décision qui intéresse la collectivité doit être prise après une ou plusieurs délibérations publiques. Cette publicité aide, elle aussi, à décider lucidement, et à éviter de prendre des décisions générales dans des intérêts particuliers. Rien de mieux qu’une délibération publique pour réduire le biais idéologique, l’arbitraire, le copinage, les coups fourrés. A condition, bien sûr, de prendre des précautions : proscrire les artifices de procédure, les effets de manche et les entraînements de foules, et s’assurer que les mêmes mots expriment bien les mêmes notions pour tous les participants. Les procédures judiciaires et politiques sont ainsi en principe publiques, tandis que les abus sont le plus souvent commis dans la pénombre de tractations à huis clos.

Bien entendu ce sont les débats qui doivent être publics, mais chaque fois que des pressions sont à craindre les votes doivent au contraire être secrets.

Contrôle

Enfin, une décision doit être contrôlée. Ce contrôle prend des formes diverses selon le domaine. En justice, le contrôle est exercé par l’appel et la cassation. Dans l’administration il l’est par l’examen des décisions d’une institution par une autre institution : Conseil d’Etat, Cour des Comptes etc. En politique, le contrôle du Gouvernement est en principe exercé par le Parlement. La tradition peut parfois obliger des ministres à démissionner s’ils sont mis personnellement en cause, mais le désaveu par l’Assemblée de la politique du Gouvernement provoque sa démission en bloc, selon le principe de solidarité gouvernemental qui permet une réorientation de la politique. Les décisions de chaque assemblée peuvent être modifiées par l’autre, et soumises au jugement du Conseil Constitutionnel. Enfin les assemblées elles-mêmes, Assemblée Nationale et Sénat, ainsi que le Président de la République sont ultimement responsables devant les électeurs.

Retenons l’essentiel : le contrôle politique s’exerce par la double responsabilité des dirigeants devant les représentants du Peuple, et de ces représentants devant le Peuple.

En pratique, tout le monde sait bien que c’est là que ça coince : la tendance naturelle de tout pouvoir est de s’efforcer de s’affranchir du contrôle, et la réalité présente est que la responsabilité s’exerce très mal : les ministres en prennent à leur aise vis à vis du Parlement, et les parlementaires vis à vis des citoyens. Quant aux partis politiques, ils échappent au contrôle à la suite de circonstances historiques : lorsque fut discuté le projet d’un statut des partis en 1945, le Parti Communiste était fort peu démocratique et son financement était de notoriété publique assuré par Moscou. Pour éviter les tensions, les chefs de partis décidèrent que les partis s’administreraient librement, ce qui fit la joie de toute la classe politique. Ce n’est que récemment qu’une kyrielle de scandales a forcé à instituer des contrôles encore bien timides, contrôle financier exercé par les tribunaux lorsque des malversations ont été commises, et contrôle politique permis par des élections internes aux partis, encore souvent biaisées. Le principal progrès à accomplir pour améliorer la démocratie serait d’introduire des procédures démocratiques dans les partis politiques ; il y a là un vaste chantier à entreprendre dans chaque système politique national.

Voici donc trois premiers principes constitutionnels : motivation, publicité, contrôle. Ce sont des principes de bon sens, qui ne sont pas spécialement politiques.

Séparation des pouvoirs

Un autre principe, éminemment politique au contraire, est bien connu depuis Montesquieu : la séparation des pouvoirs. Un système politique rationnel doit distinguer les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et aménager clairement leurs rapports. Selon Montesquieu, ce principe général devait s’appliquer à tout régime politique, même aristocratique, et il fut plus ou moins mis en œuvre au XIXe siècle dans des régimes de royauté constitutionnelle, où il favorisa en pratique la réflexion, les revendications égalitaires, donc la progression vers la démocratie.

Souveraineté du Peuple

Un seul principe fondamental définit la démocratie : le pouvoir émane du Peuple et n’a pas d’autre source. Plusieurs conséquences immédiates en résultent : 1/ Le Peuple doit être défini, et c’est lui qui doit exercer le contrôle, directement ou par ses représentants. 2/ Les représentants du Peuple doivent examiner les affaires publiques ; ils n’ont donc le droit de déléguer le pouvoir exécutif qu’à un gouvernement dont ils puissent contrôler les actes, et ils doivent pouvoir voter les lois et en proposer. 3/ Les modes d’élection doivent permettre de récuser les représentants et les dirigeants. Il est beaucoup plus important pour contrôler la classe politique de pouvoir la révoquer que de l’élire.

Efficacité des institutions

Enfin, il y a un principe constitutionnel de bon sens : on réunit des délégués pour représenter leurs mandataires afin de prendre des décisions, pas pour le plaisir de prendre une photo de l’opinion, ce qui serait d’ailleurs impossible car les affaires publiques sont trop diverses. Pour qu’un système politique fonctionne bien, il faut que les questions les plus importantes du moment soient dégagées par les politiciens, discutées publiquement, et que les élections aient pour objet de décider sur ces questions. Il faut que le mode d’élection permette, certes, une représentation équitable, mais fasse toujours apparaître une majorité suffisante pour prendre des décisions, et ne mette pas le pouvoir à la merci de minorités de blocage. Il faut aussi que le contrôle légitime du Gouvernement par le Parlement ne tourne pas à un harcèlement mesquin qui le paralyse (comme c’était le cas sous la IVe République).

Représentativité des élus et mise en scène des conflits

De même, pour prendre une décision acceptable, il faut que les divers intérêts nationaux, sociaux et économiques soient représentés. C’est d’ailleurs historiquement ainsi que le parlementarisme a commencé : pour obtenir des ressources, les rois réunissaient des Etats Généraux représentant les gens qu’ils voulaient taxer.

La démocratie a pour but de prendre des décisions au grand jour. C’est pourquoi les conflits d’intérêts doivent être admis pour légitimes, et doivent être mis en scène. Car il s’en produit de toutes façons : si on nie les conflits ils ne cessent pas d’exister. Les acteurs sociaux les plus puissants tentent alors de les résoudre sans tambour ni trompette, selon leurs propres vues et dans leur propre intérêt. L’expérience montre que l’injustice ne tarde pas, et bientôt la révolte et la violence. C’est dire que l’irénisme et la volonté de consensus à tout prix ne sont pas des valeurs démocratiques, tandis que l’acceptation des conflits et la volonté de les expliciter afin de les résoudre lucidement et pacifiquement sont des valeurs démocratiques fondamentales.

Forts de ces principes, que pouvons-nous penser du projet qu’on nous propose ? Des principes bafoués

Il n’y a pas de peuple européen

Observons tout d’abord que le Peuple n’est pas défini, et en fait n’existe pas. Il n’y a pas de Peuple européen, il y a des peuples européens, et dans chaque pays c’est du Peuple Souverain que procède l’Etat. Avez-vous jamais dîné avec un Européen ? Non, sans doute, vous avez dîné avec un Italien, un Espagnol ou un Suisse.

C’est par conséquent un abus de parler d’une Constitution : il s’agit d’un traité international. Mais ce traité définit une Union qui a tous les attributs d’un Etat : personnalité, territoire, drapeau, service diplomatique, monnaie, et surtout supériorité sur les Etats fédérés. Cette contradiction logique est importante, car c’est la souveraineté du Peuple qui est en cause, et très concrètement c’est la vie commune. Si un peuple européen existait, il serait logique de traiter tout le monde de la même façon, car les différences seraient peu sensibles d’une région à l’autre. Or ce n’est pas le cas : même en Belgique la cohabitation dans le même Etat de deux populations culturellement différentes pose d’innombrables problèmes. Il serait peu sage de multiplier ces problèmes à l’infini en feignant de croire à l’existence fictive d’un peuple européen.

Ce serait d’autant plus dangereux que les frontières de l’Union européenne ne sont pas définies, donc les peuples qu’elle unit non plus. Selon les critères de la Géographie et de la Démocratie, l’extension serait possible un jour à tout le Caucase, à la Russie, voire au Maghreb. Ce serait déjà très risqué s’agissant d’une confédération, mais ce serait folie pour une fédération. Qui peut souhaiter qu’une Union européenne fédérale ait des frontières s’étendant jusqu’au Proche-Orient ? Jusqu’au Caucase ? Jusqu’à la Russie ?

Le cas de l’Ukraine est éclairant : ce pays est peuplé d’un tiers de Russes, et ne peut être considéré par des patriotes Russes de Russie que comme une partie de leur grande patrie. Qu’une majorité d’Ukrainiens puisse considérer différemment l’Histoire n’y change rien. Or dans un siècle, l’Ukraine sera encore peuplée, en gros, d’un tiers de Russes. Qui peut supputer ce que seront alors les relations internationales ? L’Europe peut avoir une action positive en étant neutre dans les relations de ces pays, mais si l’Ukraine adhérait à l’Union européenne sans que la Russie fît de même, l’Europe toute entière se trouverait en conflit potentiel avec la Russie. Or la Russie est faible à présent, mais redeviendra forte un jour, fût-ce dans très longtemps. Et si la Russie entière adhérait à l’Union européenne, comment l’équilibre politique y serait-il maintenu ?

N’agissons pas par légèreté. Pourquoi lèguerions-nous à nos descendants des problèmes explosifs, alors que rien ne nous y contraint ?

Pas de représentation des peuples

Examinons maintenant la représentation des peuples d’Europe, puisqu’il n’y a pas un peuple européen. Un fait saute aux yeux : dans les institutions proposées, les peuples ne sont pas représentés. Aucune instance ne représente les intérêts des Nations, ou des Etats si nous admettons pour simplifier que les Etats représentent les Nations, et que nations et peuples sont deux aspects des mêmes réalités humaines.

Les seuls représentants des Etats sont les ministres ou les chefs d’Etats ou de Gouvernements, qui interviennent en bout de la chaîne de prise de décision, quand tout a été déjà préparé, et qui ne peuvent donc plus à ce stade que modifier marginalement les projets, et les modifieront d’autant moins à l’avenir que la plupart des décisions seront prises à la majorité qualifiée, que le Conseil comptera vingt-cinq membres et bientôt davantage, et que le « Compromis de Luxembourg » est officiellement abandonné. Le Conseil à quinze membres est une instance de décision finale, pas de délibération, et il adopte le plus souvent sans changement les projets de la Commission. Un Conseil à trente membres sera un lieu de tensions et de marchandages finaux, et un champ de manœuvres pour des coalitions changeantes. Une discussion à quinze c’est déjà une cohue ; à vingt-cinq et plus ce serait la foire d’empoigne. La seule solution pour conclure sera d’avaliser presque tels quels les projets de la Commission.

L’absence de représentation des Etats n’est pas un hasard : toute l’idéologie européïste nie la légitimité des intérêts nationaux. La Commission fut créée il y a un demi-siècle pour définir et promouvoir des intérêts communs, afin de les faire prévaloir sur les intérêts nationaux. Mais à présent que les Etats sont très affaiblis, la même idéologie perdure et sert de paravent à des manœuvres politiques. Sous le prétexte, qui n’est vraiment plus d’actualité, que les Guerres Mondiales ont mis aux prises des Etats, les intérêts supposés communs à tous les Européens, et définis par la Commission, sont déclarés seuls dignes d’être pris en considération. Les affaires Péchiney et Alstom, l’abandon de l’industrie textile par la Commission, montrent les conséquences de cette négation sur l’industrie et l’emploi, et révèlent les tensions cachées entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud. Le prétexte avancé pour avancer la date d’ouverture complète du marché textile fut d’aider les pays victimes du tsunami de décembre 2004, et la décision fut prise par un commissaire citoyen d’un pays qui a déjà depuis longtemps laissé péricliter son industrie textile. Certaines personnes ne répugnent à aucune impudence. Car on l’a dit et redit : ce genre de commerce déséquilibré appauvrit les pauvres des pays riches pour enrichir les riches des pays pauvres. Qu’importe ! L’équilibre général finira bien par se rétablir. Ayons donc pleine confiance dans la dynamique de la mondialisation que les nations freinent malencontreusement.

Mais nier les nations, c’est se préparer de gros déboires. Car les nations existent et forment en Europe le cadre social et mental le plus structurant. Si elles restent vivaces malgré un système politique qui les abaisse et les dénie, ce système se bloquera fatalement bientôt . Si au contraire elles s’étiolent, elles seront remplacées par des communautés idéologiques, pas par une Europe abstraite. Perdre le sentiment d’appartenance nationale, qui s’accompagne de traditions culturelles, du civisme et des habitudes démocratiques, pour adhérer à des sentiments d’appartenance communautaire beaucoup plus affectifs et irrationnels, ce serait vraiment troquer un cheval borgne contre un aveugle. Ce n’est pas une boutade : dans la crise économique, la monétarisation générale et l’effondrement culturel que nous vivons, scier le lien social principal serait une dangereuse folie.

Au moins la représentation des habitants de l’Europe au Parlement de Strasbourg est-elle raisonnable ?

Pas de contrôle

Pas de responsabilité politique des représentants devant les citoyens

Considérons le cas des Français : pour les élections européennes, la France a été découpée en quelques grandes circonscriptions réunissant chacune plusieurs régions, dans lesquelles les députés européens ont été élus par scrutin de liste. Observons d’abord que ces circonscriptions n’ont aucune pertinence historique, géographique ni sociologique, et gênent l’expression de l’opinion nationale. En outre leur grande taille et le mode de scrutin ont une conséquence inéluctable : les candidats en tête de liste sont automatiquement élus, car il se trouve toujours assez d’électeurs de chaque grand parti pour les faire passer. Donc les ténors des partis sont indéboulonnables, quoiqu’ils fassent. Seules des luttes internes aux partis pourraient les écarter, ou une action en justice s’ils faisaient des malversations, mais plus jamais les électeurs ne pourront les révoquer. Les citoyens n’ont donc plus de moyen légal de désapprouver la politique de leurs représentants au Parlement européen. C’est d’autant plus grave que la démocratie interne aux partis politiques est balbutiante. Voilà donc un contrôle qui disparaît : les plus influents représentants ne sont plus responsables devant le Peuple.

Mais peut-être les gouvernants seront-ils responsables ?

Pas de responsabilité politique des gouvernants devant les représentants

Le pouvoir le plus puissant en Europe, le vrai Gouvernement, est la Commission. Or son Président, selon le traité, sera choisi par le Conseil des Chefs d’Etats et de Gouvernements, et choisira les commissaires, auditionnés par le Parlement . Le pouvoir du Parlement se bornera à approuver le candidat Président de la Commission choisi par le Conseil (qui fera double emploi avec le Président du Conseil, dont il sera fatalement le concurrent), et à récuser éventuellement des candidats commissaires.

Comptons les degrés de délégation : des peuples à leurs représentants, de ceux-ci aux gouvernements, des gouvernements au président de la Commission, et du président aux commissaires. Quatre degrés, quatre filtres, et des marchandages entre représentants de bientôt trente pays. Résultat inévitable : aucune décision énergique n’est à attendre, l’accord ne pourra se faire que sur des bases minimales et dans l’ambiguïté. Et compte tenu des pressions idéologiques, la politique de la Commission sera fatalement celle que dictera « l’air du temps », c’est à dire la propagande économico-politique élaborée par des économistes bancaires et universitaires, des conseillers et des journalistes influencés (disons-le gentiment) par des intérêts économiques et financiers.

Comment s’exercera la responsabilité du Gouvernement de l’Union, c’est à dire de la Commission ?

La Commission est responsable devant le Parlement pour la validité de ses actes, et ce n’est pas un vain mot puisque la Commission Santer fut renversée pour des irrégularités comptables. Selon le traité elle le serait aussi en théorie pour le contenu de ses politiques, mais il faudrait pour la renverser une double majorité formée des deux tiers des suffrages exprimés et de la moitié des membres du Parlement. Majorité impossible à réunir en pratique.

Au contraire, le Président de la Commission peut révoquer un ou plusieurs commissaires sans en rendre compte à qui que ce soit.

Et le Conseil des Ministres lui-même ne pourrait repousser un projet de la Commission qu’à l’unanimité, comme les discussions autour du projet de directive Bolkestein le prouvent. Présenter le Conseil des Ministres, organe de décision, comme étant aussi une sorte de microscopique Sénat, organe législatif, est donc tout à fait faux.

Enfin, si une coutume constitutionnelle venait un jour à instaurer une responsabilité de la Commission, par exemple si une Commission décidait de démissionner après un vote de défiance à la majorité simple, un autre problème se poserait : le Parlement européen ne peut être dissout par personne, et est donc lui aussi irresponsable !

Force est donc de conclure que la responsabilité politique n’existe pas dans le système qu’on nous propose.

Pas de séparation des pouvoirs

L’absence de responsabilité de la Commission est d’autant plus étonnante que le projet viole délibérément le principe de séparation des pouvoirs en conservant à la Commission le monopole de l’initiative des directives . Or les directives deviendraient des lois européennes s’imposant aux Etats nationaux, dont les Parlements n’auraient plus d’autre rôle que d’enregistrer ces lois fédérales.

Le Parlement européen pourrait voter des amendements mais ne pourrait pas proposer de lois. Toute la préparation législative serait faite par la Commission, qui dispose de très importants services juridiques, tandis que le Parlement ne voterait que des amendements à des projets tout faits, ayant déjà leur cohérence, et ne pourrait faire préparer ces amendements que par des services juridiques peu étoffés. Et ces amendements devraient être approuvés par la Commission et le Conseil des Ministres.

Les Parlements nationaux seraient encore plus mal lotis. Plusieurs pourraient théoriquement s’unir pour demander à la Commission de légiférer sur tel ou tel sujet, mais le domaine fédéral serait si vaste que celle-ci pourrait tout à fait légalement refuser de donner suite. La difficulté de coordonner les actions de plusieurs Parlements nationaux, et la facilité de refus de la Commission font de la mise en œuvre de ce droit une fiction juridique. Et, en son principe même, cette disposition est une novation exorbitante du Droit Constitutionnel, qui obligerait les représentants des Peuples Souverains à se grouper pour adresser une supplique à des fonctionnaires irresponsables !

Pas de contrôle monétaire

L’absence de contrôle de l’exécutif va de pair avec la totale indépendance de la Banque Centrale Européenne, rendue constitutionnelle en même temps que sa mission unique de lutte contre l’inflation. C’est, on le sait, faire le choix à jamais d’une politique libérale et empêcher un contrôle politique efficace de l’économie. C’est croire que l’économie suit des lois naturelles, objectives, indépendantes de l’Histoire et de l’évolution politique et sociale.

Pas de publicité ni de motivation

La préparation des décisions de la Commission est entourée d’une opacité qu’aucun regard ne peut percer. La raison historique est bien connue : les commissaires étaient à l’origine, théoriquement, chargés de définir les intérêts communs des Européens, et cette fiction perdure alors que dès longtemps ils sont devenus les mandataires de groupes de pression. Les décisions sont toujours prises au nom de l’intérêt général, mais l’habitude du secret a pour but de forcer la main des Etats. Un exemple récent, futile, rigolo, farfelu mais révélateur, est la décision d’imposer aux chats, aux chiens et aux furets un passeport européen rédigé en deux langues, celle du pays d’origine et l’anglais (le langage de l’animal a été oublié). Cette décision a été prise par un fonctionnaire britannique et s’applique à toute l’Europe sauf aux îles britanniques. Etant considérée comme trop anodine pour mériter une discussion politique, elle est par cette raison même directement exécutoire ! Des centaines de décisions de toute autre portée sont ainsi prises chaque année par la bureaucratie bruxelloise. On ne sourit plus.

Cette absence de publicité va de pair avec la représentation des intérêts privés par des groupes de pression, agissant hors de tout contrôle et la plupart opulents, mais quelques-uns même financés par le budget communautaire. C’est ce que le jargon europédant appelle « consulter la société civile ». Le contraste avec l’ignorance voulue des peuples est flagrant.

Quant à la motivation, pour n’être pas explicite elle n’en est que trop claire : il s’agit d’uniformiser l’Europe en lui imposant un modèle économique et social.

Pas d’efficacité parlementaire

La composition même du Parlement européen réduit son efficacité. Sans même envisager les différences de culture politique entre les divers peuples d’Europe, ce Parlement est évidemment une tour de Babel, dont il ne faut pas, par conséquent, espérer qu’il monte bien haut. Deux possibilités se présentent :

Plusieurs langues sont concurremment utilisées. Cela n’empêcherait pas de s’accorder sur des principes généraux, mais cela empêcherait de discuter des détails d’un texte. Le flou poli et bien-pensant serait de rigueur. Cet usage linguistique conviendrait donc à un Parlement confédéral s’occupant seulement des grandes lignes des grands problèmes, mais pas à un Parlement fédéral.

Une seule langue est utilisée. En ce cas la plupart des parlementaires de trente Etats emploieront un langage convenu, codé, minimal. Et comme cette langue sera l’anglais, ils adopteront toutes faites les solutions aux problèmes politiques qui auront été proposées par les Anglo-saxons.

Un projet réactionnaire entraînant un changement de régime politique

Ce projet comporte ainsi une quadruple innovation politique, puisqu’il prévoit de :
Supprimer la responsabilité politique aux deux niveaux, celui de la Commission devant le Parlement, et celui du Parlement devant les citoyens.
Supprimer l’initiative parlementaire, même au niveau européen.
Abolir la séparation des pouvoirs.
Déposséder les représentants des Peuples souverains de toute fonction politique.

De semblables systèmes politiques existèrent dans le passé, mais il faut remonter à plus de deux siècles pour qu’ils aient été considérés comme normaux.

Ce projet de traité international prévoit donc un radical changement de régime politique, instaurant un nouveau mode de gouvernement, sans précédent dans l’Histoire, aussi novateur que l’Absolutisme le fut aux XVIe et XVIIe siècles. Les partisans de ce nouveau système ont un mot expressif pour en parler : ils adjurent les Français de permettre par leur vote que les fonctionnaires français de Bruxelles « restent membres du club ». Le choix anti-démocratique des politiciens européens

La clubocratie

« Club » est le mot pertinent. La Commission et tous ses services forment un club, et on ne peut être coopté dans un club si l’on n’en partage pas les choix. Pour devenir fonctionnaire bruxellois il faut être acquis aux idées du club, et les promouvoir pour rester membre actif. Un club a bien des avantages. Son fonctionnement est beaucoup moins fatiguant, moins irritant, et à court terme plus rationnel, que celui d’institutions parlementaires. Les discussions y sont plus posées et moins passionnées que dans des arènes politiques, et les décisions s’y prennent beaucoup plus facilement. En outre on apprend énormément à fréquenter les membres distingués d’un club. Pourquoi s’embarrasser de débats, de votes, lorsqu’on peut se mettre d’accord en discutant entre gens du monde ? Et il est très facile d’y avoir de l’influence : il suffit de dire ce que disent les autres, aussitôt ils écoutent et tout de suite ils approuvent.

De même le Conseil des ministres est un club, où il suffit pour éviter les conflits d’avaliser les décisions de la Commission. Le partage des tâches est si bien fait que ce serait dommage de tout compliquer par des responsabilités politiques. Vivent les clubs ! Ils rendent la vie tellement plus simple que la démocratie ! La France ne saurait faire mieux que de rester dans le club. Ce projet remplace la démocratie par la clubocratie.

Le goût des dirigeants européens pour le club bruxellois est celui des dominants de toutes les époques pour les cercles qui les confortent dans leur sentiment d’appartenance à l’élite. C’est la même mentalité que la Cour de Versailles, mais la justification par la naissance dans l’aristocratie y est remplacée par le sentiment de la valeur personnelle acquise par les études et par l’expérience des institutions européennes, censées garantir la compétence.

Evidemment, la contrepartie est le refus de toute notion étrangère à la mentalité du club. Les discours sur la directive Bolkestein prononcés par la commissaire à la concurrence sont à cet égard illustratifs. Cette dame assène qu’il faut libéraliser tous les services pour relancer l’économie, et que cela se fera quoiqu’il advienne. Rien pourtant, ni dans la théorie économique, ni dans l’analyse statistique des tendances historiques, ne montre que la concurrence à tout crin relance l’économie. Pour affirmer cela, il faut ne tenir aucun compte de la dynamique sociale ni du bouclage salaires/demande. Il faut parier sur la convergence asymptotique à long terme vers un équilibre général au niveau mondial, sans se soucier des phénomènes économiques et sociaux qui jouent en sens contraire à plus courte échéance. Intellectuellement, cette affirmation équivaut à prétendre résoudre un système d’équations en n’en connaissant qu’une seule, et approximativement , ou à étudier un système dynamique en négligeant les constantes de temps. Ce discours régressif ramène vingt ans avant Keynes. Ce n’est ni de l’économie ni de la politique mais de la théologie, qui n’aurait pas été déplacée en période pascale si ce n’eût été qu’il s’agissait de Mammon.

C’est pourtant la seule réalité concevable, car telle est la conviction du club.

Lorsque le Président de la République Française lui-même se sentit obligé à une déclaration publique pour tenter de faire retarder l’application de cette directive désormais fameuse entre toutes, les fonctionnaires qui la promeuvent répliquèrent qu’ils ne la réexamineraient que si les membres du Conseil l’exigeaient à l’unanimité. Telle est en effet la règle européenne. On ne pourrait manifester plus clairement l’abaissement des Etats et le mépris des citoyens.

Cette mentalité de club explique comment a pu être élaboré un texte qui bafoue tous les principes du Droit Constitutionnel établis en trois siècles. Ses partisans disent, avec raison, qu’il serait ridicule d’imaginer qu’un texte examiné par tant de gens ait été rédigé par une bande de comploteurs. En effet les membres d’un club ne complotent pas, mais tombent spontanément d’accord parce qu’ils se sont tous cooptés selon les mêmes critères, discutent souvent entre eux et expulsent en douceur ceux qui ne partagent pas l’idéologie commune.

L’usurpation du pouvoir constituant

La réunion appelée abusivement “convention” en fut un exemple parfait : des participants tous cooptés ou nommés, agissant sans mandat des peuples mais exerçant de fait le pouvoir constituant, l’usurpant en réalité comme les parlementaires de l’an 40. Inacceptable, hormis peut-être comme réunion préliminaire consultative. En effet, pour élaborer une Constitution, l’usage démocratique est d’élire spécialement des délégués. C’est ainsi qu’ont procédé, avec l’aide de l’ONU, les peuples qui ont établi ou rétabli une démocratie au cours des années récentes. Même la Constitution de la Ve République, qui pourtant tirait la leçon de l’échec du régime d’assemblée et réduisit en conséquence les pouvoirs du Parlement, fut rédigée par un groupe de juristes en concertation permanente avec une importante délégation du Parlement. Le Général de Gaulle, qui l’inspira, vint plusieurs fois expliquer devant les parlementaires les raisons de certains articles et accepta d’en modifier plusieurs selon les vues des élus. Il avait été investi démocratiquement par le Parlement comme Président du Conseil, et avait prouvé depuis vingt ans – avec quel éclat ! – son attachement à la République lorsque les parlementaires l’avaient abandonnée. Au contraire la convention européenne fut présidée par Giscard, dont la seule légitimité était d’avoir été révoqué depuis vingt ans par le Peuple Français. En outre les dispositions les plus importantes de ce traité ont été élaborées et adoptées par le seul Praesidium de la convention. Rien que ce nom est tout un programme… Enfin cette réunion de notables a agi au contraire du mandat qui lui avait été confié par le Conseil Européen lors de la réunion de Laeken. Il s’agit d’un coup d’Etat, d’une forfaiture.

Or ce qu’on nous propose est sans précédent dans l’Histoire : établir un Etat fédéral en Europe ! Même l’Empire romain ne s’étendit pas à toute l’Europe, et chacun sait qu’à cette époque le concept de démocratie comme nous l’entendons n’existait pas. Pour entreprendre une œuvre aussi grandiose, c’est l’humilité qui aurait dû être de mise, pas la vanité. Et surtout pas la prétention ubuesque qui a abouti à ce texte boursouflé ! Selon le principe démocratique, il aurait fallu au moins un congrès en bonne et due forme, après des élections spéciales sur des programmes précis. Mais les politiciens de l’Europe n’y ont même pas songé, et nul journaliste, nul professeur de Droit n’a pensé à protester. La suite était inéluctable : les auteurs du projet ont rédigé un texte simplement conforme à leur idéologie, mais ce faisant ils ont bel et bien poursuivi un dessein. Un simple calcul de probabilités permet d’ailleurs d’écarter l’hypothèse qu’un texte épais comme un bottin téléphonique ait été écrit au hasard, par un couple de chats amoureux dansant sur un clavier.

Une idéologie simpliste

L’idéologie qui inspire ce texte est très simple, scientiste, c’est celle de la fin de l’Histoire : des lois économiques objectives existent, qui prévalent sur toute décision humaine. L’échec du Communisme a prouvé la nocivité de tout volontarisme. Le débat politique est donc non seulement inutile mais nuisible, puisqu’il ne peut que retarder l’avènement de la seule organisation économique efficace possible. Des dirigeants rationnels doivent par conséquent se fier à leurs connaissances pour mettre en œuvre ces lois objectives, celles du marché, sans se laisser distraire de cette tâche par des considérations sociales ou politiques. Les acteurs sociaux réticents envers ces décisions rationnelles doivent, pour leur propre bien, être protégés des effets néfastes de leur irrationalité et ne doivent pas être écoutés. A cette fin, il importe de remplacer les procédures démocratiques par des procédures plus efficaces, dont les seuls acteurs soient les membres d’une élite intellectuelle et sociale.

Dans l’esprit des auteurs de ce texte, il s’agit d’un grand progrès : pour que l’affectivité cède la place à l’objectivité, la démocratie délibérative doit être remplacée par la gouvernance de consensus, consensus défini par les membres du club. C’est lucidement et volontairement qu’ils ont écarté le Droit Constitutionnel, afin de réduire l’expression de conflits considérés comme illégitimes. Puisqu’une seule organisation optimale existe, le cheminement vers elle ne doit pas être freiné par des querelles inutiles, et la conduite des affaires doit être confiée à des experts, pour le bien général. Bien loin d’être une maladresse ou une survivance, l’indépendance de la Commission nommée au quatrième degré et son monopole d’initiative sont des pièces maîtresses de la nouvelle construction politique. La subordination du Parlement européen, la réduction des Parlements nationaux à des chambres d’enregistrement, servent le même dessein. Le Parlement européen, par sa lourdeur même, ne peut discuter que de problèmes très généraux, ou au contraire de futilités. Et les Parlements nationaux, réduits au droit de remontrances qui leur est concédé, peuvent renseigner les Commissaires sur l’état des opinions publiques, mais afin d’éviter que les peuples ne dérangent inutilement les gouvernants, la précaution est prise d’obliger plusieurs Parlements à agir ensemble. Ainsi seules les affaires vraiment importantes seront-elles évoquées, et les intérêts nationaux exclus. De minimis non curat Praetor.

La volonté d’anglicisation de l’Europe, que révèlent toutes les décisions pratiques prises par toutes les instances de l’Union Européenne, relève de la même idéologie. L’inéluctabilité de l’Histoire réduit d’ores et déjà les langues nationales au statut de survivances locales, dont la construction économique et politique de l’avenir doit au plus tôt affranchir les calculateurs rationnels.

Tout groupement d’individus, toute structure sociale, freinant par nature l’homogénéisation, les nations, qui sont les structures les plus fortes, forment les obstacles principaux à l’uniformisation de l’Europe. Elles doivent donc s’effacer pour qu’apparaisse une homme nouveau, l’Européen, a-national, a-social, a-temporel et a-nglophone. Le texte de ce traité adapte ainsi à l’économie de marché la tentative encore récente de créer un homme soviétique dans l’Empire russe, et traduit la volonté actuelle des puissances financières de susciter un consommateur type, sensible partout dans les pays développés aux mêmes modes et aux mêmes slogans publicitaires. A l’avenir, les différences culturelles résiduelles formeront des segments du marché de la consommation . L’inspiration est la même que celle de la loi Le Chapelier de 1791 interdisant les « coalitions » pour établir une société individualiste, mais cette fois il s’agit de faciliter le commerce et non de promouvoir la liberté personnelle.

La certitude que l’action individuelle est le seul facteur de progrès matériel, se marque par l’accent mis sur la concurrence, et s’exprime par le vocabulaire employé. La tournure fréquente « L’Union reconnaît et respecte » a été choisie pour remplacer le collectif par l’individuel, et afin d’éviter tout engagement de droit. Une telle formule n’oblige en effet à rien, puisqu’elle ne peut être prise comme base par un juge pour constituer un droit. Elle signifie en bon français : « Bonne chance les gars ! (et les donzelles, puisque rien n’est pire que d’être sexiste) ». Elle a été choisie pour égarer le lecteur, pour tromper l’électeur.

Voici donc une novation supplémentaire et particulièrement étrange : un texte prétendu constitutionnel qui n’établit pas des règles de droit.

C’est cependant tout à fait logique selon l’idéologie du club, qui considère l’homme comme un acteur économique dont toute la vie est encadrée par des règles concurrentielles, parce que c’est le moyen le plus sûr d’atteindre l’optimum économique, dont l’existence est certaine. La progression vers l’efficacité nécessite de responsabiliser cet acteur en le considérant le moins possible comme un sujet de droit collectif. Le citoyen est ainsi remplacé par un professionnel sur le marché du travail, doublé d’un consommateur sur le marché des biens et services, tous deux remplaçables en cas de malheur imprévisible par un objet d’assistance compassionnelle.

Cette idéologie n’est pas neutre : elle suppose une hiérarchie sociale, entre une élite censée capable de comprendre la vie moderne (et d’apprécier un traité de 600 pages) et le commun des mortels, qui doit déléguer sa confiance (et à qui on demande de répondre par oui ou par oui). Puisque la science économique objective, qui prévaut enfin, prouve la nécessité absolue de la liberté de circulation du capital et de la perpétuité des rentes (heureuse et opportune découverte !), les puissants de demain seront, dans la société qui se dessine, les descendants des puissants d’aujourd’hui, pour le bien commun et la plus grande efficacité de l’économie. C’est vers un régime oligarchique que le club nous entraîne. C’est aussi vers un régime de subordination.

Une confédération européenne d’Etats souverains adoptant des règles de consultation mutuelle pour coordonner leurs politiques, y compris leurs politiques étrangères, mais agissant chacun selon son génie, et chacun utilisant ses relations traditionnelles, aurait beaucoup plus de poids dans le monde qu’une fédération bureaucratique qui n’évite la paralysie qu’en s’alignant sur les puissances anglo-saxonnes. Si les auteurs du traité n’ont pas exploré cette voie, c’est d’abord par paresse d’esprit : s’efforcer de transmettre le pouvoir à ses enfants c’est une chose, s’obliger à réfléchir en est une autre. C’est aussi parce qu’il ne l’ont pas voulu. Ce n’était pas l’opinion du club. Voulons-nous ça ?

Le projet qu’on nous propose est donc cohérent. Il a été pensé pour nous mener vers un état défini : une fédération libérale, anglophone, à la stratification sociale marquée sans être insupportable si la reprise économique espérée se produit, apolitique, et dirigée par une élite sociale. Ce gouvernement veillerait à maintenir le cadre concurrentiel et élaborerait des normes impersonnelles et objectives. L’activité économique serait laissée entièrement aux mains des compagnies financières, et la politique internationale serait déléguée au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, selon l’exemple pionnier de la Grande-Bretagne.

Voilà où nous allons. Voulons-nous ça ?

Et maintenant, amie lectrice, ami lecteur, que je remercie d’avoir eu la persévérance de lire déjà tant de pages, tu peux arrêter ici ta lecture ; mais veux-tu continuer avec moi pour envisager la suite ? Oh, bien sûr, je n’ai pas de boule de cristal. Mais je crois qu’il est possible d’apercevoir les prochains tournants du chemin où l’on nous mène, en regardant attentivement et en réfléchissant un peu. Donc changeons de point de vue. Jusqu’ici nous avons considéré le traité qui nous est proposé en comparant ses dispositions à des principes bien établis par l’expérience séculaire. C’était du solide, et la prudence commanderait peut-être de nous arrêter là, en rendant grâce aux efforts de nos aïeux. Mais, pour estimer les risques, nous pouvons prudemment supputer l’avenir, en nous basant sur ce qui s’observe déjà à présent et sur les tendances à l’œuvre.

La prospective est un exercice incertain, subjectif, qui fait parfois sourire après coup, mais c’est un exercice nécessaire, que l’on se repend plus de n’avoir pas tenté que d’avoir risqué. Alors, voilà comment je vois la suite. Et, amie lectrice, ami lecteur, si tu savais comme je souhaiterais me tromper ! Qu’est-ce qui nous pend au nez ?

Pour décider si c’est cela que nous voulons, nous devons d’abord nous demander si c’est vraiment vers cela qu’on nous mène, et si ça peut marcher.

Est-ce vraiment là que nous allons ?

Le projet d’organisation économique est parfaitement explicite et répété à satiété dans le texte. Aucun doute n’est possible.

L’uniformisation culturelle n’a besoin que d’être constatée : elle est en cours. L’administration européenne n’emploie plus que l’anglais, qui a été de ce fait imposé comme langue de travail courante dans les principaux services ministériels des Etats membres, obligés de correspondre en cette langue avec l’administration bruxelloise. Tous les projets scientifiques, techniques et universitaires sont préparés exclusivement en anglais. Toutes les négociations avec tous les pays sont menées exclusivement en cette langue. L’argument du coût des traductions est pure insolence, car ce coût est inférieur au montant du « chèque britannique »… En France, les derniers ministres de l’Education Nationale ont tenté d’imposer le globish comme « savoir fondamental » obligatoire enseigné par l’Ecole républicaine.

L’union politique est l’essence même du projet, et ses prolongements sont déjà tracés. Des groupes du Parlement européen ont déjà fait circuler une pétition demandant que les deux sièges permanents européens au Conseil de Sécurité soient confondus en un seul, confié à l’Union européenne. Comme jamais les Britanniques ne renonceront au leur, on sait quel siège est visé . Un projet de réunions périodiques de parlementaires européens et nord-américains est déjà discuté de temps en temps. Quant à la politique internationale, l’impossibilité de se mettre d’accord à trente, l’inlassable insistance anglaise et les pressions américaines, l’habitude invétérée de céder, devenue une seconde nature des négociateurs européens , ne laissent aucun doute sur qui sera l’inspirateur du ministre des affaires étrangères européen .

Les béni-oui-oui du traité pressent les électeurs de l’approuver en le disant indispensable pour que l’Europe puisse s’affirmer face aux États-Unis et ne devienne pas une zone de libre-échange soumise à l’OTAN. Naïveté ou sottise ? L’Europe est déjà une zone de libre-échange dominée par les Anglo-saxons. Ce traité ne ferait que rendre cette domination légale et irréversible, installant confortablement le loup dans la bergerie où il est entré depuis longtemps et prend ses aises. Puisque l’inconscience de nos dirigeants a, depuis vingt ans, détruit les bienfaits de la CEE, il faut au moins conserver ce qui reste de notre autonomie. Quand on a perdu une bataille il faut, tant qu’on peut, continuer à lutter, et surtout ne pas conclure un traité ratifiant un échec. Voir les Français, une fois de plus, prêts à s’auto-détruire doit faire bien rigoler outre-manche et outre-atlantique.

Les Britanniques sont depuis des siècles bien plus avisés que les Français en politique, et quoique leur République ait gardé l’apparence d’une monarchie, quoique leur Constitution soit formée de traditions, ils ont un sens très aigu du Droit Constitutionnel, et ne songent pas un instant à ratifier un traité qui les lierait. Pourquoi le feraient-ils d’ailleurs, puisque les autres Européens sont tout prêts à leur concéder un statut spécial, et à se ligoter eux-mêmes par un texte qui les soumet aux Anglo-Saxons ? Dame ! Mettons-nous à la place des Britanniques : lorsqu’on a en face de soi des benêts, ce serait péché de ne pas en profiter ! Personne ne peut reprocher aux Anglo-Saxons d’être dominants, c’est aux autres à ne pas se laisser dominer. Mais les classes dirigeantes de toute l’Europe ont tellement envie d’être admises, au moins symboliquement, dans la surclasse anglophone mondiale !

Donc, oui, c’est bien vers là que nous allons, et très vite.

Est-ce que ça peut marcher ?

D’abord, cela peut-il marcher en France ? A court terme, si le traité est ratifié par référendum, nul doute qu’il sera appliqué. Les principaux partis se sont engagés pour ce projet et le mèneront jusqu’au bout de sa logique. La République sera de fait abrogée, la langue française déchue de tout statut international, l’Organisation Internationale de la Francophonie, qu’aucun gouvernement français n’a jamais voulu soutenir, disparaîtra dans l’indifférence générale, le siège de la France au Conseil de Sécurité sera en effet dévolu à l’Union Européenne, pour la plus grande fierté des gouvernants français, glorieux de ce geste magnanime, et qui seront enfin déchargés de toute responsabilité internationale. Les fonctionnaires internationaux français, et ceux du Ministère des Affaires Etrangères, qui attendent de savoir au secours de quelle victoire voler, seront pour la plupart soulagés de ne plus devoir manifester d’autonomie, et heureux de se fondre dans la masse des gens normaux, leurs collègues des pays voisins. Ils seront des agents zélés de l’administration fédérale et du service diplomatique unilingue européen. En quelques années, l’époque de la liberté française leur paraîtra aussi lointaine et historique que l’Europe d’avant 1914.

La bourgeoisie française sera très heureuse de pouvoir inscrire ses enfants dans les universités anglophones toutes neuves qui fleuriront en France et qui seront les pépinières des élites nouvelles, et les Grandes Ecoles et Universités françaises mettront leur point d’honneur à ne pas être en reste. Leur émulation fera plaisir à voir. Grandes entreprises, administrations générales et régionales, tout ce qui se veut moderne et efficace, suivra le mouvement.

L’alliance pour le « oui » du PS avec l’UDF et l’UMP, traduit le compromis historique conclu entre les possédants bien établis et la nouvelle bourgeoisie qui a pu s’adapter aux nouvelles conditions économiques. En approuvant un traité qui instaurerait l’oligarchie en Europe, ces classes dominantes s’allient contre la concurrence, en bloquant toute ascension des classes dominées. Quelques anciens gauchistes soixante-huitards incarnent à merveille cette coalition et trahissent la duplicité de cette triplice.

Aux termes de la Constitution française, le Président de la République est garant de l’indépendance nationale et veille au respect de la Constitution. Or voilà que le Président en exercice et le seul ancien Président survivant, vieux complices et naguère encore ridicules frères ennemis, s’unissent pour élaborer et soutenir un traité qui vassalise la France et rend, de fait, caduques ses institutions. Et les dirigeants des principaux partis passent l’absolution sur cette ignominie, la vantent, et même somment le Peuple de l’approuver ! La basse trahison est passible de la Haute Cour, mais quels juges choisir lorsque tous sont corrompus ?

Aucun doute, en France cela marchera très bien, au moins pour tout ce qui est officiel. La renonciation à l’Histoire, à la langue, à la civilisation nationales se fera dans l’enthousiasme. La Collaboration recueillera cette fois l’assentiment général des influents, l’appui des principaux partis politiques, le soutien sans faille des manageurs, suscitera l’engouement des décideurs. Gros progrès par rapport à la fois précédente, lorsque la tentative avait été menée sans doigté. Pour dominer leurs compatriotes, les riches et surtout les nouveaux riches, sont capables d’accomplir des merveilles. L’occasion est trop belle pour les gens en place de réserver le pouvoir à leurs descendants et se fermer en caste : ils ne la laisseront pas échapper. Cependant rassurons-nous, les apparences seront sauves. Le canard démocratique courra et battra des ailes longtemps encore après avoir été décapité, et l’illusion durera d’autant plus que bien des gens cancaneront pour lui.

Cela marchera d’autant mieux que les avertis connaissent le système. Ils n’auront pas la naïveté de vouloir influencer le club. Ce rêve absurde ne les effleure même pas. Ils choisiront avec raison de se rallier sur tout, et d’y rallier leur entourage. En fait ils sont déjà ralliés. Seuls quelques utopistes espèrent encore pouvoir faire entendre des avis originaux, sans comprendre qu’entre des mimiques faussement navrées et des grimaces vraiment goguenardes, ils ne recueilleront que des sourires. Donc exit la France ; nos descendants liront dans des livres l’Histoire de la french period, en s’aidant d’un dictionnaire bilingue ancien pour les termes qui leur échapperont.

Mais le Peuple Français pourrait ne pas partager l’enthousiasme de ses petits maîtres.

Et c’est dans toute l’Europe que les affaires se gâteront. Car l’idéologie de l’objectivité a ses limites, les limites mêmes de toute idéologie : les réalités. En réalité, l’économie ne fonctionne pas selon le modèle de l’équilibre général. Elle fonctionne à présent en régime d’insuffisance de demande. Et la concurrence, on le sait depuis des décennies, conduit au monopole. La destruction des monopoles publics, plus ou moins contrôlés, n’aboutira donc finalement qu’à instaurer des monopoles privés sans contrôle public. Les décisions économiques ne sont pas prises sur des critères de pure rentabilité à moyen terme. Les décideurs économiques ont des buts, des stratégies ; ils sont capables de retraits tactiques pour préparer des conquêtes. Chaque grande entreprise a trois ou quatre comptabilités parallèles, selon l’interlocuteur, ajustées entre elles par des spécialistes. Supprimer le contrôle public et les débats politiques c’est seulement vider la scène et remplir les coulisses. Le pouvoir existe encore, mais il est occulte, et heureux serons-nous s’il ne devient pas bientôt mafieux. La Commission irresponsable en sera gangrenée.

C’est la conséquence inéluctable du remplacement de la démocratie par le pouvoir du club. Tout parti, tout groupe social est un club, et les bienfaits de la démocratie viennent de ce qu’elle oppose club contre club, et les force à motiver leurs décisions et à rivaliser au grand jour. La clubocratie européenne supprime la compétition ouverte en ne mettant plus qu’un club au pouvoir. Mais fatalement des sous-clubs s’y reforment sans cesse et s’affrontent durement, mais ils s’affrontent désormais dans la pénombre. L’efficacité, gagnée à court terme en évitant les décisions démagogiques, les déclarations publiques grandiloquentes destinées à la galerie, est reperdue, et au-delà, par les conséquences des coups-fourrés. L’objectivité recherchée cède devant une irrationalité bien pire que celle due au débat public.

Or il est impossible d’en rester à ce traité, car l’Etat fédéral qu’il instaure est dépourvu de ressources, toute détenues encore par les Etats nationaux qu’il dépouille de leurs pouvoirs. Ce déséquilibre est voulu par la « méthode communautaire », procédé systématique consistant à bâtir des édifices bancals, afin d’obliger les Etats, pour les consolider, à transférer sans cesse de nouveaux pouvoirs à l’Union. Ce projet de traité, chef d’œuvre de fourberie, est un exemple parfait de cette méthode de flibustiers. La tension entre le pouvoir fédéral et les pouvoirs fédérés sera très vite très forte, et il n’y a pas à douter de l’issue du conflit. Aucune autre instance que le Conseil ne représentant les Etats, ceux-ci seront défaits. Les politiciens européens ne tenteront pas de défendre les intérêts de leurs nations, car dès maintenant ils préfèrent la perspective d’une fin de carrière européenne à la défense laborieuse de leurs concitoyens. Et puis le club veillera. Le Gouvernement le plus puissant et le moins contrôlé d’Europe joindra bientôt à son pouvoir politique la puissance budgétaire.

Entre-temps la situation économique se sera encore dégradée, car ce dont souffre l’Europe en ce moment c’est d’un manque de demande effective solvable. La politique libérale poursuivie obstinément va tout au rebours de la politique keynésienne qui s’impose, et que les décisions politiques des vingt dernières années ont délibérément tendu à rendre impraticable.

La stratification sociale, quela mondialisation, bien servie par l’Europe, accentue sous nos yeux depuis des années, se rigidifiera d’autant plus que les diverses classes d’un même pays ne se retrouveront plus dans un système politique commun. Alors l’éloignement des classes rendra à nouveau leurs rares contacts aussi explosifs qu’ils le furent jadis. En France, si la tendance des dix dernières années persiste ou s’aggrave, une nouvelle bourgeoisie à demi anglicisée dominera des classes moyennes et pauvres vouées à la culture de la télé, tandis qu’un nouveau peuple de descendants d’immigrés s’inventera une idéologie propre, de persécution et de revendication. Le libre-échange économique et l’étiolement de la démocratie sont en train de fabriquer un peuple de Noirs américains. Et pas seulement en France.

Lorsque les catégories mentales et les rapports humains auront été partout bouleversés, lorsque le droit anglo-saxon aura rongé les droits nationaux, lorsqu’on ne pourra plus s’instruire en sciences dans une autre langue que l’anglais, lorsque les parents des classes favorisées prépareront leurs enfants à une « carrière européenne », lorsque les moyens de télécommunication ne proposeront plus que l’harripottérisation générale, la diversité culturelle, déjà très entamée, déclinera. Cette fameuse diversité dont les politiciens répètent sans cesse incantatoirement, tout en la ruinant, qu’elle est la richesse de l’Europe. Or l’affaiblissement culturel atteindra un point de non-retour bien avant que toute vitalité ne s’éteigne. Il faut donc craindre que reconstruire des systèmes nationaux fonctionnels et confédérés ne soit plus possible lorsque le système qui nous est proposé se sera bloqué. Ne ruinons pas notre plus précieux bien

Ici il faut nous arrêter, car le regard humain ne porte pas plus loin. Nul ne sait de quoi demain sera fait. Nous ne pouvons percevoir précisément comment ce système mal conçu se bloquerait si ce traité était ratifié, mais nous pouvons avoir la certitude de son blocage, et de la révolte confuse que celui-ci déclencherait.

Pour construire l’Europe, c’est d’un tout autre projet que nous avons besoin, d’une confédération vraiment démocratique, selon des règles à inventer prudemment et progressivement, au prix d’un rude effort intellectuel aidé par de profondes connaissances historiques, politiques, sociologiques et juridiques. Tant que les pays d’Europe garderont leur souveraineté tout pourra être rattrapé. Mais si la souveraineté nationale disparaissait, la souveraineté populaire ne lui survivrait pas. Il serait grand temps que les anti-nationistes s’en avisent.

Nous n’avons plus beaucoup de temps pour éviter l’effondrement culturel et social. Ne laissons pas perdre ce que nous avons de plus précieux : les instruments politiques de la paix sociale et de la concorde internationale. Si nous abandonnons les règles éprouvées du Droit Constitutionnel, qui ont coûté tant d’efforts, de larmes et de sang à nos prédécesseurs, nous instaurerons l’injustice et vivrons à notre tour la peur, les alarmes et les pleurs.

Vive la République !

ANNEXE : Le texte de référence

Pour décider si le texte qui nous est proposé est une Constitution, le texte de référence est la déclaration des droits de 1789, qui a valeur constitutionnelle en France.

Voici son préambule :

Les représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

Et voici trois articles :

Article 3 – Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 15 – La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Article 16 – Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

• La souveraineté réside-t-elle dans un corps électoral supra-national indéfiniment extensible au gré des politiciens européens, sous l’influence des politiciens américains ? Non.

• La Commission Européenne rend-elle parfois raison de ses actes ? Jamais.

• La séparation des pouvoirs est-elle organisée par le texte qui nous est proposé ? La confusion y est totale. Conclusion

Ce texte n’est pas une Constitution, et ceux qui emploient ce mot le font sciemment pour tromper les citoyens. La Déclaration des Droits, qui fut tant célébrée lors de son bicentenaire, il y a à peine quinze ans, est déjà ignorée, oubliée, méprisée. Qu’en peut-il résulter sinon la corruption des gouvernements prélude à des malheurs publics ?

Ce texte est un traité international, et un traité d’asservissement.

Ce texte extravagant est sans précédent dans l’Histoire. On peut fouiller les archives diplomatiques de tous les pays, scruter les pages une à une, sans rien découvrir de semblable. Sans contrainte, sans défaite, des gouvernants s’unissent pour abolir la souveraineté de chaque peuple, abdiquer leurs propres pouvoirs, supprimer les contrôles politiques, la discussion démocratique et la régulation sociale, et confier à jamais la gestion des affaires et le gouvernement des hommes à des puissances financières irresponsables, celles qui influencent déjà le gouvernement de la principale puissance politique et militaire mondiale. L’Histoire du monde regorge de mauvaises décisions, mais jamais une telle folie suicidaire n’a été commise ainsi de sang froid.

http://www.oulala.net/Portail/article.php3?id_article=1798

De : Aigle Royal (http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=14613)
mardi 3 mai 2005

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